Si la séduction était un sport, mon voisin Jean-Eudes serait probablement sélectionné pour les Jeux Olympiques. Sa force ? Son narcissisme. Belle ou moche, accorte ou bien antipathique, la cible en elle-même importe peu ; il séduit pour le seul plaisir de plaire. Et il est doué. Il l’est moins lorsqu’il a en tête une femme précise à laquelle il porte un intérêt particulier.
Ainsi, l’octogénaire du quatrième étage, Madame Picrocolle, est une proie dont il n’a pas su vaincre les résistances. Pauvre Jean-Eudes, il lui avait pourtant sorti le grand jeu dans l’espoir d’obtenir non pas une nuit d’ivresse, mais de menus services. Il s’imaginait qu’elle pourrait jouer le rôle de grand-mère de substitution pour son colocataire et pour lui-même : leur fournir du café ou des pâtes quand les magasins sont fermés, leur cuisiner un gâteau ou une blanquette de temps en temps, arroser leurs plantes en plastique quand ils sont en vacances, nourrir le chat qu’ils n’ont pas encore, donner les clefs à un ami de passage, réceptionner un colis… Bref, boniche. Avec cette candeur désarmante qu’ont souvent les enjôleurs habitués à faire tomber toutes les barrières, Jean-Eudes était persuadé que Madame Picrocolle serait ravie et même flattée de se mettre à la disposition de cette jeunesse fringante.
Il partit donc la fleur au fusil courtiser la vieille dans les couloirs de l’immeuble. Hélas, il n’a pas su cerner l’adversaire, confondant « draguer ». et « conter fleurette ».
– Bonjour Madame, vous êtes bien élégante dans cette robe à fleurs…
– Vous avez de drôles de goûts, jeune homme : c’est ma tenue pour faire le ménage.
– Eh bien, vous êtes une femme d’intérieur raffinée. D’ailleurs, on vous donnerait dix ans de moins.
– Parce que vous connaissez mon âge ?
– Eh bien… Je, heu… En tout cas, on croirait volontiers que vous n’avez pas plus 60 ans.
– Vous sous-entendez donc que j’ai 70 ans en réalité ?
– Heu… Oui. Enfin non ! Si ?
Il ne savait plus, il était paumé, il était piteux, elle le toisait sans pitié et jubilait. Il se ressaisit pourtant :
– Je suis sûr que vous êtes aussi une cuisinière hors pair, votre mari a-t-il conscience de la chance qu’il a ?
– Avec ses problèmes de dentier, je ne lui fais que de la soupe.
Jean-Eudes en fut lui aussi réduit à boire le bouillon après s’être ainsi cassé les dents sur Madame Picrocolle. Coriace la vieille. Le marivaudage n’était décidément plus de son âge.
Il tenta un dernier assaut, abandonnant la flatterie pour le chantage affectif :
– Vous me faites penser à ma grand-mère, je l’aimais beaucoup, elle est décédée et elle me manque terriblement…
– Et vous, vous me faites penser à Médor. Mon mari et moi l’adorions… C’était un cabot un peu foufou qui reniflait le trou de balle de toutes les femelles qu’il croisait.
Et Jean-Eudes repartit, la queue entre les jambes.