J’aime pas les gens, j’aime pas les bêtes

Quand Véréna affirme avec son accent haché qu’il est plus criminel d’ « assassiner » un animal que de zigouiller un être humain, son émoi larmoyant et sa candeur coquebine désarmeraient quatre Huns et six Troyens. Comme elle n’en est pas à une contradiction près, elle aime aussi penser que l’homme est une colombe pour l’homme. Et que moi, je suis un pigeon.
Cette plantureuse Allemande, rencontrée dans la voiture-bar d’un train, a eu l’envie soudaine de visiter Paris. Elle a donc débarqué sans crier gare dans mon petit studio, considérant naturel que je l’accueille la bouche en cœur et le cœur sur la main.

Verena est sportive, végétarienne et sobre. Notre première soirée fut donc mortelle, longue comme un jour sans vin et plate comme l’eau que nous avons bue, employée à passer en revue les trente millions d’amis de l’être humain. Je pense pour ma part que les ours sont souvent mal léchés, qu’un piranha te boulotte un doigts de pied en deux claquements de mâchoire (surtout quand le doigt susnommé dépasse d’une chaussette trouée, ce qui est souvent mon cas) et que si les lapins aiment fixer les phares des voitures, ils n’ont pas inventé l’électricité pour autant. Globalement, les animaux font rarement de cadeaux aux hommes, ou alors empoisonnés : la vipère leur a refilé sa langue, le chien son humeur, le cheval sa culotte, l’oie ses pattes… Mieux vaut appeler un chat, un chat : je me trouve plus intéressante qu’une poule en cage. Ce que Verena conteste très gentiment. Mais Verena est une pétasse.

Le réveil fut moins ennuyeux que notre soirée, plus cauchemardesque aussi : la première vision qui s’offrit à moi fut la cellulite de l’Allemande en string. Je remuai un peu dans mon lit afin de la prévenir que j’étais sur le point de me lever; mais de toute évidence, j’étais plus gênée qu’elle puisqu’elle se contenta de me saluer :
– Bonjour, comment vas-tu ?

– Ça pourrait être pire…

En effet, le lendemain fut pire. Lorsque j’ouvris l’œil, elle était sans string. Nue comme un ver devant la glace, elle se peignait avec application. C’est là que l’on saisit tout le sens de l’expression « être à poil »,… Poils qu’elle avait bouclés sur les jambes, touffus sous les bras et drus ailleurs. De nouveau, elle m’a saluée sans sourciller (des sourcils pourtant bien fournis) et je me suis levée de mauvaise grâce pour ne pas dire de mauvais poil.


Verena m’avait préparé un petit-déjeuner à sa façon : jus de carotte et bouillasse céréalière. Elle m’avait aussi réservé son plus joli jogging rose pour aller courir avec elle. Pourquoi ai-je enfilé ce survêtement et l’ai-je accompagnée ? Parce que je n’ai jamais su dire non avec simplicité et que je n’avais aucun prétexte à portée de main.
Grandes foulées, croupe rebondie, moulée dans une tenue de sport sexy, queue de cheval battant l’air, la voilà partie. Et moi derrière elle. Dans un jogging fluo trop grand, un vieux tee-shirt informe et des baskets trouées, cahotant dans les rues parisiennes. Nos arrêts aux feux piétons étaient particulièrement pénibles : Verena attendait le vert en trottinant sur place pour ne pas perdre le rythme. Elle levait haut les genoux, moulinait les bras, tournait autour d’un poteau en lançant des petits cris de sportive galvanisée.
J’entraînai mon Allemande vers un parc. Deux coureurs – dans tous les sens du terme – un peu crâneurs un peu hâbleurs, nous emboîtèrent le pas et engagèrent la conversation avec Verena. J’étais haletante, poussive et vexée comme un pou de voir mon Allemande accaparer l’attention des deux étalons. Il faut dire que sa sueur était comme des perles de rosée, elle avait un teint de pêche et ses mèches lui collaient au front avec sensualité. J’avais des cheveux ébouriffés, un visage rouge tomate et des auréoles sous les bras. Et puis le porridge allemand du matin passait mal. Je les ai laissés me distancer et j’ai fini avachie à une terrasse de café, une cigarette dans une main, un petit blanc dans l’autre. Ils n’ont pas remarqué mon absence. Je me demande s’ils avaient remarqué ma présence. Pas seulement pigeon, caméléon aussi. Ah mais.