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Tout nu dans la nature

nu

Charles Gleyre (1806-1874), Penthée poursuivi par les Ménades, 1864. Huile sur toile, 121,1 x 200,7 cm. Bâle, Kunstmuseum

Il y a un monsieur tout nu lâché dans le paysage… Un hippie peut-être ? Désireux de communier avec la nature, il en aurait profité pour boulotter quelques champignons ou fumer l’herbe des prés ? Pourquoi pas. Le tableau datant de 1864, ce n’est pas l’hypothèse la plus probable…

Dans la peinture ancienne on trouve tout un tas de gens à poil : Vénus se balade en tenue d’Ève à longueur de journée parce que c’est la déesse de l’Amoûûûr, Ève se dandine, nue comme un ver, dans les jardins du Paradis, sans doute parce que la feuille de vigne lui file de l’urticaire ; même l’allégorie de la Vérité est obligée d’être à oilpé, parce qu’elle ne doit rien avoir à cacher. Les héros antiques et les saints martyrs n’ont pas vraiment le temps d’aller faire les soldes, trop occupés à sauver leur peau dans l’arène devant un gladiateur bougon ou un lion glouton qui cherche à les déculotter ; on ne peut pas dire que pour eux ce soit la fête du slip.
En général, si tous ces gens sont les protagonistes d’une histoire un peu grave, voire carrément dramatique, le peintre choisit de les représenter tout nus mais statiques, pour préserver leur dignité et la décence de la scène. Il faut éviter que le spectateur se pisse dessus de rire en regardant le tableau… Aussi les figures ont-elles les fesses à l’air, mais l’air sérieux. Je n’oserais pas dire qu’elles restent « inébranlables », l’adjectif ne sied pas à des personnes ainsi mises à découvert.

Alors pourquoi diable un artiste du XIXe siècle a-t-il pris le risque de faire ricaner, en représentant un monsieur tout nu, hagard, en train de courir entre des rochers ? Le pauvre type est poursuivi par une bande de bonnes femmes furibardes. Furibardes mais pas effeuillées. Tiens, pour une fois, qu’un homme déshabillé est poursuivi par des femmes vêtues…
Peut-être s’agit-il d’un nudiste – il a sa serviette de bain sur son épaule – qui s’est installé sur un plage où des enfants innocents faisaient paisiblement des pâtés de sable à côté de leurs mères attendries et bien enduites de Monoï. Elles n’ont pas su rester détendues du string lorsqu’elles ont vu débarquer ce type, surtout s’il a fait l’hélicoptère pour essayer de faire rire tout le monde. Alors elles l’ont chassé et pourchassé. Elles courent derrière lui, elles ont le pas léger de danseuses étoiles, et l’air de hyènes hystériques. La bave aux lèvres, les cheveux hirsutes et des armes à la main. Alors oui, tiens, c’est bizarre quand même, des mamans qui vont au bord de la mer armées jusqu’aux dents.
Un autre détail a peut-être son importance : ce jeune homme est à poil, mais rasé de près. Voila une autre interprétation possible : peut-être essaye-t-il d’échapper au supplice de l’épilation que lui font subir des esthéticiennes munies de tous leurs accessoires ?

Le véritable sujet est à peine plus subtil : le mec s’appelle Penthée. Pas Pantin. Penthée. Il était roi de Thèbes et il a décidé d’interdire le culte de Dionysos. Dionysos, ou Bacchus, en fut un brin contrarié, alors il jeta un sort à toutes les femmes de Thèbes (les Thèbêtes ?) : hypnotisées, elles partirent rejoindre les servantes du dieu – les Ménades (ou Bacchantes) – pour faire la java avec elles : sexe, drogue et Rock’n Roll. Déguisé en femme, Penthée les a suivies pour les espionner. Mais voilà qu’il se fait repérer… Badaboum, toutes les Thèbêtes se ruent sur lui, elles le poursuivent, il court il court le furet, elles finissent par le choper, le déchiquètent en petits morceaux de chaire, « façon puzzle », que c’en était dégueu à voir. Un petit tas de carne sanguinolente. Crado. Mais ça ne m’étonne pas… Le peintre s’appelle Charles Gleyre.
Gleyre, sérieusement ? Sniiiirrrrrf, Rrrftt ! Il doit aimer le visqueux. Un genre de type atrabilaire.