Toc toc toc ?

toc toc

En plus de l’entrée principale, il y a pour accéder à notre salle de travail une petite porte placée juste derrière le bureau de Basile, qui ne s’ouvre que de l’intérieur. Ceux qui utilisent ce passage sont forcément des initiés.

Un « boum boum » tonitruant devance un visiteur autoritaire, impatient, ou plus rarement jovial ; un « toc toc » circonspect précède un passant obséquieux, pointilleux ou plus rarement poli ; un «boum toc» annonce une personne bipolaire. Quand on frappe, Basile ne bouge pas d’un iota. Il lui suffirait pourtant de tendre le bras pour ouvrir… Mais trop mondain pour tourner une poignée au lieu de la donner, trop attaché à son statut de chercheur pour atteindre une clé si facilement, il attend que je traverse la pièce, contourne son bureau et ouvre gracieusement à un quidam qui ne vient pas me voir. Basile sort alors de la torpeur studieuse qui lui vissait le cul à sa chaise et se lève – miracle – pour accueillir le nouveau-venu d’un air de surprise ravie. Un jour je me suis rebellée.

« Toc toc… »

Cachée derrière mon ordinateur, je me contente de faire mon boulot de stagiaire : remplir une bête base de données.
« Toc toc …? »

Je suis sourde. Basile reste de marbre. La guerre des nerfs est déclarée. Lecteur, ami placide et pacifique, tu ne le sais sans doute pas : la guerre des nerfs, quand tu ne les as pas d’acier, c’est un peu comme si un Attila miniature te galopais sur tout le corps au moment où tu es à fleur de peau. Après lui, rien ne repousse, sinon des poils hirsutes.

« Toc toc toc toc toc! »

Je plonge le nez dans la pile de photocopies qui se dresse sur mon bureau, les sourcils froncés, les narines retroussées, la tête entre les mains, mimant avec un certain talent la stagiaire appliquée, trop concentrée par son travail pour prêter attention aux bruits qui l’entourent. Basile ne remue pas un muscle.
L’un de nous deux doit céder.
« Boum boum !»
Quelques secondes pesantes, interminables, épuisantes… Je résiste une demi-seconde de plus, pour l’honneur. Et puis je me résigne à jeter ma dignité à la poubelle, et me lève, fulminante, en crachant mentalement une flopée de jurons. Basile a cillé, enfin. Il a levé la tête, m’a regardée éberlué, j’ai compris à son air que quelques grossièretés avaient dû s’échapper de mes pensées pour éclater dans la pièce. J’ai rougi comme une petite fille. La stupeur de Basile s’est vite transformée en étonnement amusé. Il a ricané.
– C’est ce qui s’appelle sortir de ses gonds, Mademoiselle.
– À ce propos, Basile, je ne demande qu’à balayer devant ma porte, plutôt que d’ouvrir celle des autres.

Non, Lecteur, je n’ai rien rétorqué du tout, tu penses ; c’est une réplique à laquelle j’ai pensé bien après, bien trop tard, comme toujours.