Ils ont tous perdu la tête

Méduse

Jean-Marc Nattier  (1685-1766), Persée, assisté par Minerve, pétrifie Phriné et ses compagnons en leur présentant la tête de Méduse, 1718. Huile sur toile, 113 x 146 cm. Tours, Musée des beaux-arts.

Alors bien sûr, la scène est terrible… il y a quand même un type qui brandit une tête coupée au centre de la toile… Et il a l’air de trouver ça désopilant, le sadique. On dirait même qu’il lance un petit clin d’œil complice à sa copine un peu pète-sec, la grognasse assise sur un nuage juste derrière lui ; typique de la déesse snobe qui ne veut pas se mêler au commun des mortels. Des mortels et des morts : il y en a tout un tas au premier plan, des macchabées bien décédés, bien trépassés, qui puent déjà la viande avariée, tandis qu’à gauche, deux soldats s’entre-tuent gaillardement, l’un étant sur le point d’embrocher l’autre comme il le ferait d’un poulet élevé en plein air. C’est fin, c’est léger, mais ce n’est peut-être pas une peinture qu’on aurait envie d’accrocher dans une salle à manger ( burps ).
L’histoire, d’ailleurs, n’est pas de celles qu’on raconte entre deux blagues de Toto pour faire poiler les copains pompettes : le personnage central n’est autre que le héros Persée, et la caboche qui remue au bout de son bras est celle de Méduse. Tout est clair à présent.
Sauf pour toi qui as fait l’école buissonnière et le désespoir de tes parents, toi qui ne sais pas que Méduse est une charmante divinité coiffée de « serpents qui sifflent sur [sa] tête ». Et si tu ne saisis pas non plus cette référence littéraire, tu dois être sacrément doué au babyfoot, au flipper et au tarot pour avoir autant séché les cours. Moi je faisais partie des bons élèves un peu coincés, pas trop fandards, par conséquent je suis une brèle au tarot et je me fais rabrouer à chaque fois que je joue une carte.
Bref, non seulement Méduse a des serpents qui sifflent sur sa tête, mais elle pétrifie toute personne qui la regarde ; le genre de nana qui te laisse de marbre, au sens propre. Autant dire que si tu la croises, tu lui dis poliment « bonjour Madame » et tu passes en baissant les yeux d’un petit air modeste.
Persée, lui, a joué les rebelles… Mais faut dire qu’il était pistonné par Athéna, forcément ça aide. Il a réussi à trancher la tête de la méchante, couic la Méduse, et au lieu de la jeter à la benne, il l’a gardée dans sa poche et il l’agite sous le nez des fâcheux qui le contrarient pour les transformer en cailloux tout couillons. Pas con, le gars. Un de ses ennemis à genoux devant lui est en train doucettement de se changer en pierre, il est déjà presque aussi gris que Michael Jackson. Finalement, c’est l’histoire inversée de Pygmalion…
Pygmalion, tu ne vois pas non plus ? Laisse tomber, le récit est digne d’un Walt Disney : le gars tombe amoureux de la statue qu’il a lui-même sculptée, et à la fin, la sculpture prend vie. Plus gnangnan, tu meurs. Enfin, fais gaffe quand même, si on te dit que ton boss est ton Pygmalion, cela sous-entend qu’il t’a façonné à l’image de l’employé idéal, bref tu es sa créature et toc.
Les ennemis de Persée, sont tous pétrifiés, ou presque. En voilà un, à droite, qui se cache le visage pour échapper au regard de Méduse, ouh le pétochard, il est un peu lâche, mais on ne lui jette pas la pierre. Ce qui me choque le plus, c’est qu’il en profite pour se moucher dans les rideaux, et ça…, ça c’est vraiment crado.