Tâchons de rester optimistes

stage

Personnages :
Basile Machinchose : maître de stage et directeur du département des peintures du XVIIe siècle à l’Institut d’Histoire des Arts et des Techniques Artistiques (IHATA).
Historiens de l’art : gens sérieux, du genre qu’on rigole pas avec.
– Un ami : l’ordinateur

Moi, je suis de nature optimiste. La preuve : je me dis souvent que la situation ne peut pas être pire, et puis je découvre que j’avais tort. Mon stage, par exemple, consiste à faire de la saisie informatique toute la journée pour recenser les peintures reproduites dans les catalogues de musées. Je m’ennuie comme un rat crevé au fond d’un égout, mais au moins, je regarde des tableaux. C’est beau (la plupart du temps). Mais récemment, on m’a priée de laisser ces ouvrages à la disposition des historiens de l’art et de travailler à partir de photocopies. En noir et blanc. Forcément c’est moins joli.
Mon ordinateur n’a pas semblé contrarié par ce nouveau régime alimentaire. Il bâfre avec avidité toutes les données que je lui propose. Je partage même mon sandwich avec lui de temps à autre, en glissant quelques miettes dans la fente du lecteur CD. Comme Basile ne m’a pas encore proposé de déjeuner avec lui, je grignote en tête-à-tête avec ma machine et j’avoue que je me fais parfois pitié.

Je suis enchaînée dans une vaste salle où, en plus de mon poste et celui de mon directeur de stage, quatre ordinateurs sont mis à la disposition des éminents historiens de l’art qui passent faire des recherches personnelles sur des peintres inconnus qui feraient mieux de le rester parfois. L’Historien de l’Art contemple la Beauté à longueur de journée, aussi lui est-il pénible de prêter attention au monde réel et d’adresser un regard ou un mot au commun des mortels.
La prise de contact avec ces petits camarades a donc été pour moi plutôt métonymique : je ne connais ni leur visage, ni le son de leur voix. Seulement le bout de leur crâne, plus ou moins garni, qui dépasse de leur ordinateur (évidemment je n’ai pas encore repéré les petits). Je me suis illico acheté un shampoing antipelliculaire, au cas où… Autant faire bonne impression.

Étrange univers où les humains travaillent dans un silence monacal, seulement perturbé par le « clic » frétillant et narquois des souris d’ordinateur. Un peu de chaleur humaine ne me ferait pas de mal, ne serait-ce que pour compenser la froideur de Basile qui tient lieu de climatisation pour tout l’étage.
Ainsi donc, entre les orgies informatiques et l’ascèse humaine, mon stage ne me branche pas vraiment, si ce n’est à une machine. D’autres auraient pété les plombs au bout de trois jours, mais la résistance de mon optimisme ne saute pas au premier court circuit. Je ne perds pas l’espoir d’électriser l’ambiance un peu éteinte qui règne ici. Allez, je me lance :

– Un pause café, Basile ?
– Je n’ai pas le temps de faire des pauses, Mademoiselle. Mais si la caféine peut vous aider à vous mettre au travail, n’hésitez pas à en boire plusieurs tasses.